Saturday, February 27, 2010

Les Précieuses Ridicules de Molière


Les précieuses ridicules


PREFACE DE MOLIERE

(1660)

C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que celle-là. Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J'offenserais mal à propos tout Paris, si je l'accusais d'avoir pu applaudir à une sottise - comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence à moi de le démentir ; Et quand j'aurais eu la plus mauvaise opinion du monde de mes - précieuse ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. J'avais résolu, dis-je, de ne les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe ; et je ne voulais pas qu'elles sautassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilège obtenu par surprise. J'ai eu beau crier ; " 0 temps ! O mœurs ! " On m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé ou d'avoir un procès ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée et consentir à une chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi. Mon Dieu ! L'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour, et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime 1 Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes les précautions que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur, que j'aurais été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurais tâché de faire une belle et docte préface ; Et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étym6logie-de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste. J'aurais parlé aussi à mes amis qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auraient pas refusé ou des vers français, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auraient loué en grec; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnaître ; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise ; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes, qui méritent d'être bernés ; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ; Et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin ou quelque autre sur le théâtre faire ridiculement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables précieuses auraient tort de se piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et Monsieur de Luynes veut m'aller relier de ce pas : à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu !





Les Précieuses Ridicules,
Par Molière [Jean-Baptiste Poquelin]


LES PRECIEUSES RIDICULES



Titre: Les Précieuses Ridicules

Auteur: Molière [Jean-Baptiste Poquelin]

Edition: 10ème

Language: Française




Source:

Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673),



PRÉFACE DES PRÉCIEUSES RIDICULES

C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux ! Je ne vois
Rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que celle-là.

Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J'offenserais mal à propos tout Paris, si je
L'accusais d'avoir pu applaudir à une sottise ; comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence à moi de le démentir ; et quand j'aurais eu la plus mauvaise opinion du monde de mes "Précieuses ridicules" avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de la voix, il m'importait qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements, et je trouvais que le succès qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. J'avais résolu, dis-je, de les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe (1), et je ne voulais pas qu'elles sautassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilège obtenu par surprise. J'ai eu beau crier : O temps ! Ô mœurs ! On m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et consentir à une chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi.

Mon Dieu ! L'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour ; et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime ! Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes les précautions que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tenté la libéralité par
une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurais tâché de faire une belle et docte préface ; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste.

J'aurais aussi parlé à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auraient pas refusé ou des vers français, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auraient loué en grec ; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnaître; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurais
voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise ; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d'être bernés ; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie, et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin (2), ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince, ou le roi ; aussi les véritables précieuses auraient tort de se piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luynes (3) veut m'aller faire relier de ce pas : à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu.

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(1) Molière fait allusion à ce proverbe : "Elle est belle à la chandelle, mais le grand jour gâte tout."
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(2) Le "Docteur", le "Capitan" et "Trivelin", étaient trois personnages ou caractères appartenant à la farce italienne.
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(3) Ce de Luynes était un libraire qui avait sa boutique dans la galerie du Palais.
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LES PRÉCIEUSES RIDICULES
Comédie (1659).


PERSONNAGES ACTEURS
La Grange, La Grange.
Du Croisy, amants rebutés. Du Croisy.
Gorgibus, bon bourgeois. L'Espy.
Madelon, fille de Gorgibus, Mlle De Brie.
Cathos, nièce de Gorgibus, précieuses ridicules. Mlle Du Parc.
Marotte, servante des précieuses ridicules. Madel. Béjart.
Almanzor, laquais des précieuses ridicules. De Brie.
Le Marquis de Mascarille, valet de la Grange. Molière.
Le Vicomte de Jodelet, valet de du Croisy. Brécourt.
Deux porteurs de chaise.
Voisines.
Violons.



La scène est à Paris, dans une salle basse de la maison de Gorgibus.

SCÈNE PREMIÈRE. - La Grange, Du Croisy.


- Du Croisy -

Seigneur la Grange...

- La Grange -

Quoi ?

- Du Croisy -

Regardez-moi un peu sans rire.

- La Grange -

Eh bien ?

- Du Croisy -

Que dites-vous de notre visite ? En êtes-vous fort satisfait ?

- La Grange -

A votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux ?

- Du Croisy -

Pas tout à fait, à dire vrai.

- La Grange -

Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pèques (1) provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ?
A peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sièges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : Quelle heure est-il ? Ont-elles répondu que Oui et Non à tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvait nous faire
pis qu'elles ont fait ?

- Du Croisy -

Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur.

- La Grange -

Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de cette impertinence. Je connais ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu (2) de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et, si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur monde.

- Du Croisy -

Et comment, encore ?

- La Grange -

J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit, car il n't a rien de meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui s'est mis en tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux.

- Du Croisy -

Eh bien ! Qu'en prétendez-vous faire ?

- La Grange -

Ce que j'en prétends faire ? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant.


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SCÈNE II. - Gorgibus (3), Du Croisy, La Grange.


- Gorgibus -

Eh bien ! Vous avez vu ma nièce et ma fille ? Les affaires iront-elles bien ? Quel est le résultat de cette visite ?

- La Grange -

C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous.
Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grâce de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très humbles serviteurs.

- Du Croisy -

Vos très humbles serviteurs.

- Gorgibus -

(Seul.)

Ouais ! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourrait venir leur mécontentement ? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà!


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SCÈNE III. - Gorgibus, Marotte.


- Marotte -

Que désirez-vous, Monsieur ?

- Gorgibus -

Où sont vos maîtresses ?

- Marotte -

Dans leur cabinet.

- Gorgibus -

Que font-elles ?

- Marotte -

De la pommade pour les lèvres.

- Gorgibus -

C'est trop pommadé. Dites-leur qu'elles descendent.


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SCÈNE IV. - Gorgibus.


- Gorgibus -

Ces pendardes-là, avec leur pommade, ont, je pense, envie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'œufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connais point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins ; et quatre valets vivraient tous les jours des pieds de mouton qu'elles emploient.


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SCÈNE V. - Madelon, Cathos, Gorgibus.


- Gorgibus -

Il est bien nécessaire, vraiment, de faire tant de dépense pour vous graisser le museau ! Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur ?
Vous avais-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulais vous donner pour maris ?

- Madelon -

Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là ?

- Cathos -

Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder de leur personne ?

- Gorgibus -

Et qu'y trouvez-vous à redire ?

- Madelon -

La belle galanterie que la leur ! Quoi ! Débuter d'abord par le mariage ?

- Gorgibus -

Et par où veux-tu donc qu'ils débutent ? Par le concubinage ? N'est-ce pas un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux, aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacré où ils aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions ?

- Madelon -

Ah ! Mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses.

- Gorgibus -

Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là.

- Madelon -

Mon Dieu ! Que si tout le monde vous ressemblait, un roman serait bientôt fini ! La belle chose que ce serait, si d'abord Cyrus épousait Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fût marié à Clélie (4) !

- Gorgibus -

Que me vient conter celle-ci ?

- Madelon -

Mon père, voilà ma cousine qui vous dira aussi bien que moi que le mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné (5), et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée : et cette déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paraît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence.
Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer
de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ; encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j'ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.

- Gorgibus -

Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style.

- Cathos -

En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ! Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de
Tendre, et que Billets-Doux, Petits-Soins, Billets-Galants et
Jolis-Vers sont des terres inconnues pour eux (6). Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens ? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie, un chapeau désarmé de plumes, une tête irrégulière en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans ; mon Dieu, quels amants sont-ce là ! Quelle frugalité d'ajustements, et quelle sécheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats (7) ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges.

- Gorgibus -

Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos, et vous, Madelon...

- Madelon -

Eh ! de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges et nous
appelez autrement.

- Gorgibus -

Comment, ces noms étranges ? Ne sont-ce pas vos noms de baptême ?

- Madelon -

Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé, dans le beau style, de Cathos ni de Madelon, et ne m'avouerez-vous pas que ce serait assez d'un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ?

- Cathos -

Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là ; et le nom de Polyxène que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce dont il faut que vous demeuriez d'accord.

- Gorgibus -

Ecoutez, il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'entends point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont été donnés par vos parrains et marraines ; et pour ces messieurs dont il est question, je connais leurs familles et leurs biens, et je veux résolument que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âge.

- Cathos -

Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire, c'est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu?

- Madelon -

Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de
Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion.

- Gorgibus -

(à part.)

Il n'en faut point douter, elles sont achevées.

(Haut.)

Encore un coup, je n'entends rien à toutes ces balivernes : je veux être maître absolu : et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses ; j'en fais un bon serment.


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SCÈNE VI. - Cathos, Madelon.


- Cathos -

Mon Dieu, ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière! Que son intelligence est épaisse, et qu'il fait sombre dans son âme !

- Madelon -

Que veux-tu, ma chère ? J'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me persuader que je puisse être véritablement sa fille, et je crois que quelque aventure un jour me viendra développer une naissance plus illustre.

- Cathos -

Je le croirais bien ; oui, il y a toutes les apparences du monde ; et, pour moi, quand je me regarde aussi...


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SCÈNE VII. - Cathos, Madelon, Marotte.


- Marotte -

Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir.

- Madelon -

Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d'être visibles.

- Marotte -

Dame ! Je n'entends point le latin : et je n'ai pas appris comme vous, la filophie dans le grand Cyre.

- Madelon -

L'impertinente ! Le moyen de souffrir cela ! Et qui est-il le maître de ce laquais ?

- Marotte -

Il me l'a nommé le marquis de Mascarille.

- Madelon -

Ah ! Ma chère, un marquis ! un marquis ! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura ouï parler de nous.

- Cathos -

Assurément, ma chère.

- Madelon -

Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moins, et soutenons notre réputation. Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces.

- Marotte -

Par ma foi ! Je ne sais point quelle bête c'est là ; il faut parler chrétien (8), si vous voulez que je vous entende.

- Cathos -

Apportez-nous le miroir, ignorante que vous êtes, et gardez-vous bien
d'en salir la glace par la communication de votre image.

(Elles sortent.)


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SCÈNE VIII. - Mascarille, deux porteurs.


- Mascarille -

Holà ! Porteurs, holà ! Là, là, là, là, là, là. Je pense que ces marauds-là ont dessein de me briser, à force de heurter contre les murailles et les pavés.

- Premier porteur -

Dame ! C'est que la porte est étroite. Vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici.

- Mascarille -

Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez, ôtez votre chaise d'ici.

- Deuxième porteur -

Payez-nous donc, s'il vous plaît, Monsieur.

- Mascarille -

Hein !

- Deuxième porteur -

Je dis, Monsieur, que vous nous donniez de l'argent, s'il vous plaît.

- Mascarille -

(Lui donnant un soufflet.)

Comment, coquin ! Demander de l'argent à une personne de ma qualité !

- Deuxième porteur -

Est-ce ainsi qu'on paye les pauvres gens ? et votre qualité nous donne-t-elle à dîner ?

- Mascarille -

Ah ! Ah ! Je vous apprendrai à vous connaître ! Ces canailles-là s'osent jouer à moi.

- Premier porteur -

(Prenant un des bâtons de sa chaise.)

Cà, payez-nous vitement.

- Mascarille -

Quoi ?

- Premier porteur -

Je dis que je veux avoir de l'argent tout à l'heure.

- Mascarille -

Il est raisonnable, celui-là.

- Premier porteur -

Vite donc !

- Mascarille -

Oui-da ! Tu parles comme il faut, toi ; mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit. Tiens, es-tu content ?

- Premier porteur -

Non, je ne suis pas content : vous avez donné un soufflet à mon camarade, et...

(Levant son bâton.)

- Mascarille -

Doucement ! Tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne façon. Allez, venez me reprendre tantôt pour aller au Louvre, au petit coucher.


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SCÈNE IX. - Marotte, Mascarille.


- Marotte -

Monsieur, voilà mes maîtresses qui vont venir tout à l'heure.

- Mascarille -

Qu'elles ne se pressent point : je suis ici posté commodément pour attendre.

- Marotte -

Les voici.


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SCÈNE X. - Madelon, Cathos, Mascarille, Almanzor.


- Mascarille -

(Après avoir salué.)

Mesdames, vous serez surprises sans doute de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui.

- Madelon -

Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser.

- Cathos -

Pour voir chez nous le mérite, il a fallu que vous l'y ayez amené.

- Mascarille -

Ah ! Je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommée accuse juste en contant ce que vous valez ; et vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu'il y a de galant dans Paris.

- Madelon -

Votre complaisance pousse un peu trop avant la libéralité de ses louanges ; et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre sérieux dans le doux de votre flatterie.

- Cathos -

Ma chère, il faudrait faire donner des sièges.

- Madelon -

Holà! Almanzor.

- Almanzor -

Madame?

- Madelon -

Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation.

- Mascarille -

Mais, au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi ?

(Almanzor sort.)

- Cathos -

Que craignez-vous ?

- Mascarille -

Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More (9).
Comment, diable ! D'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière. Ah ! Par ma foi, je m'en défie ! et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise (10) qu'ils ne me feront point de mal.

- Madelon -

Ma chère, c'est le caractère enjoué.

- Cathos -

Je vois bien que c'est un Amilcar (11).

- Madelon -

Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre cœur peut dormir en assurance sur leur prud'homie.

- Cathos -

Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser.

- Mascarille -

(Après s'être peigné et avoir ajusté ses canons.)

Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ?

- Madelon -

Hélas ! Qu'en pourrions-nous dire ? Il faudrait être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit, et de la galanterie.

- Mascarille -

Pour moi, je tiens que hors de Paris il n'y à point de salut pour les honnêtes gens.

- Cathos -

C'est une vérité incontestable.

- Mascarille -

Il y fait un peu crotté ; mais nous avons la chaise.

- Madelon -

Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps.

- Mascarille -

Vous recevez beaucoup de visites ? Quel bel esprit est des vôtres ?

- Madelon -

Hélas ! Nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être ; et nous avons une amie particulière qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des pièces choisies.

- Cathos -

Et certains autres qu'on nous a nommés aussi pour être les arbitres souverains des belles choses.

- Mascarille -

C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne ; ils me rendent tous visite ; et je puis dire que je ne me lève jamais sans une demi-douzaine de beaux esprits.

- Madelon -

Eh ! Mon Dieu ! Nous vous serons obligées de la dernière obligation, si vous nous faites cette amitié ; car enfin il faut avoir la connaissance de tous ces messieurs-là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont ceux qui donnent le branle à la réputation dans Paris; et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule fréquentation pour vous donner bruit de connaisseuse, quand il n'y aurait rien autre chose que cela. Mais, pour moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruite de cent choses qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence d'un bel esprit. On apprend par là chaque jour les petites nouvelles galantes, les jolies commerces de prose et de vers.
On sait à point nommé : Un tel a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet ; une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui-là a composé des stances sur une infidélité ; monsieur un tel écrivit hier au soir un sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures ; un tel auteur a fait un tel dessein ; celui-là en est à la troisième partie de son roman ; cet autre met ses ouvrages sous la presse. C'est là ce qui vous fait valoir dans les compagnies, et si l'on ignore ces choses, je ne donnerais pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir.

- Cathos -

En effet, je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit, et ne sache pas jusqu'au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi, j'aurais toutes les hontes du monde, s'il fallait qu'on vînt à me demander si j'aurais vu quelque chose de nouveau que je n'aurais pas vu.

- Mascarille -

Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui
se fait ; mais ne vous mettez pas en peine : je veux établir chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon dans les belles ruelles (12) de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits.

- Madelon -

Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits : je ne vois rien de si galant que cela.

- Mascarille -

Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas.

- Cathos -

Pour moi, j'aime terriblement les énigmes.

- Mascarille -

Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.

- Madelon -

Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés.

- Mascarille -

C'est mon talent particulier ; et je travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine.

- Madelon -

Ah ! Certes, cela sera du dernier beau : j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer.

- Mascarille -

Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition ; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires, qui me persécutent.

- Madelon -

Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé.

- Mascarille -

Sans doute. Mais, à propos, il faut que je vous die un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les impromptus.

- Cathos -

L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit.

- Mascarille -

Ecoutez donc.

- Madelon -

Nous y sommes de toutes nos oreilles.

- Mascarille -

Oh ! Oh ! Je n'y prenais pas garde : tandis que, sans songer à mal, je vous regarde, votre œil en tapinois me dérobe mon cœur ;
Au voleur ! Au voleur ! Au voleur ! Au voleur !

- Cathos -

Ah ! Mon Dieu, voilà qui est poussé dans le dernier galant.

- Mascarille -

Tout ce que je fais a l'air cavalier ; cela ne sent point le pédant.

- Madelon -

Il en est éloigné de plus de deux mille lieues.

- Mascarille -

Avez-vous remarqué ce commencement : "Oh ! Oh !" voilà qui est extraordinaire : "oh ! Oh !" Comme un homme qui s'avise tout d'un coup,
"Oh! Oh!" La surprise, "Oh! Oh!"

- Madelon -

Oui, je trouve ce "oh ! Oh !" admirable.

- Mascarille -

Il semble que cela ne soit rien.

- Cathos -

Ah ! Mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.

- Madelon -

Sans doute ; et j'aimerais mieux avoir fait ce "Oh ! Oh !" qu'un poème épique.

- Mascarille -

Tudieu ! Vous avez le goût bon.

- Madelon -

Hé ! Je ne l'ai pas tout à fait mauvais.

- Mascarille -

Mais n'admirez-vous pas aussi "je n'y prenais pas garde " ? "Je n'y prenais pas garde", je ne m'apercevais pas de cela : façon de parler naturelle : "je n'y prenais pas garde". "Tandis que, sans songer à mal", tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton ; "je vous regarde", c'est-à-dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ; "votre œil en tapinois..." Que vous semble de ce mot "tapinois" ? N'est-il pas bien choisi ?

- Cathos -

Tout à fait bien.

- Mascarille -

"Tapinois", en cachette ; il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris : "tapinois".

- Madelon -

Il ne se peut rien de mieux.

- Mascarille -

"Me dérobe mon cœur", me l'emporte, me le ravit. "Au voleur ! Au voleur ! Au voleur ! Au voleur !" Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter ? "Au voleur !
Au voleur ! Au voleur ! Au voleur !"

- Madelon -

Il faut avouer que cela a un tour spirituel et galant.

- Mascarille -

Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus.

- Cathos -

Vous avez appris la musique ?

- Mascarille -

Moi ? Point du tout.

- Cathos -

Et comment donc cela se peut-il ?

- Mascarille -

Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.

- Madelon -

Assurément, ma chère.

- Mascarille -

Ecoutez si vous trouverez l'air à votre goût. "Hem, hem, la, la, la,
la, la". La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix ; mais il n'importe, c'est à la cavalière.

(Il chante.)

Oh ! oh ! Je n'y prenais pas garde, etc.

- Cathos -

Ah ! Que voilà un air qui est passionné ! Est-ce qu'on n'en meurt point ?

- Madelon -

Il y a de la chromatique là dedans.

- Mascarille -

Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant ?
"Au voleur ! Au voleur !" Et puis, comme si l'on criait bien fort : "au, au, au, au, au, voleur !" Et tout d'un coup, comme une personne essoufflée : "au voleur !"

- Madelon -

C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmée de l'air et des paroles.

- Cathos -

Je n'ai encore rien vu de cette force-là.

- Mascarille -

Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude.

- Madelon -

La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.

- Mascarille -

A quoi donc passez-vous le temps, Mesdames ?

- Cathos -

A rien du tout.

- Madelon -

Nous avons été jusqu'ici dans un jeûne effroyable de divertissements.

- Mascarille -

Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez ; aussi bien, on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble.

- Madelon -

Cela n'est pas de refus.

- Mascarille -

Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'à nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation ; et je vous laisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire ! Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : Voilà qui est beau ! Devant que les chandelles soient allumées.

- Madelon -

Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être.

- Cathos -

C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir
de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira.

- Mascarille -

Je ne sais si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie.

- Madelon -

Hé ! Il pourrait être quelque chose de ce que vous dites.

- Mascarille -

Ah ! Ma foi ! Il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.

- Cathos -

Et à quels comédiens la donnerez-vous ?

- Mascarille -

Belle demande ! Aux grands comédiens ; il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit : eh ! Le moyen de connaître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit par là qu'il faut faire le brouhaha ?

- Cathos -

En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.

- Mascarille -

Que vous semble de ma petite oie (13) ? La trouvez-vous congruente à l'habit ?

- Cathos -

Tout à fait.

- Mascarille -

Le ruban en est-il bien choisi ?

- Madelon -

Furieusement bien. C'est Perdrigeon tout pur (14).

- Mascarille -

Que dites-vous de mes canons (15) ?

- Madelon -

Ils ont tout à fait bon air.

- Mascarille -

Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier de plus que ceux qu'on fait.

- Madelon -

Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement.

- Mascarille -

Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.

- Madelon -

Ils sentent terriblement bon.

- Cathos -

Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.

- Mascarille -

Et celle-là ?

(Il donne à sentir les cheveux poudrés de sa perruque.)

- Madelon -

Elle est tout à fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement.

- Mascarille -

Vous ne me dites rien de mes plumes ! Comment les trouvez-vous ?

- Cathos -

Effroyablement belles.

- Mascarille -

Savez-vous que le brin me coûte un louis d'or ? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau.

- Madelon -

Je vous assure que nous sympathisons vous et moi. J'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et, jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne faiseuse.

- Mascarille -

(S'écriant brusquement.)

Ahi ! ahi ! ahi ! Doucement. Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai à me plaindre de votre procédé ; cela n'est pas honnête.

- Cathos -

Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ?

- Mascarille -

Quoi ! Toutes deux contre mon cœur en même temps ! M'attaquer à droite et à gauche ! Ah ! C'est contre le droit des gens ; la partie n'est pas égale, et je m'en vais crier au meurtre.

- Cathos -

Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière.

- Madelon -

Il a un tour admirable dans l'esprit.

- Cathos -

Vous avez plus de peur que de mal, et votre cœur crie avant qu'on l'écorche.

- Mascarille -

Comment, diable ! Il est écorché depuis la tête jusqu'aux pieds.


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SCÈNE XI. - Cathos, Madelon, Mascarille, Marotte.



- Marotte -

Madame, on demande à vous voir.

- Madelon -

Qui ?

- Marotte -

Le vicomte de Jodelet.

- Mascarille -

Le vicomte de Jodelet ?

- Marotte -

Oui, Monsieur.

- Cathos -

Le connaissez-vous ?

- Mascarille -

C'est mon meilleur ami.

- Madelon -

Faites entrer vitement.

- Mascarille -

Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure.

- Cathos -

Le voici.


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SCÈNE XII. - Cathos, Madelon, Jodelet, Mascarille, Marotte, Almanzor.


- Mascarille -

Ah ! vicomte !

- Jodelet -

(Ils s'embrassent l'un l'autre.)

Ah ! Marquis !

- Mascarille -

Que je suis aise de te rencontrer !

- Jodelet -

Que j'ai de joie de te voir ici !

- Mascarille -

Baise-moi donc encore un peu, je te prie.

- Madelon -

(à Cathos.)

Ma toute bonne, nous commençons d'être connues ; voilà le beau monde
qui prend le chemin de nous venir voir.

- Mascarille -

Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci : sur ma parole, il est digne d'être connu de vous.

- Jodelet -

Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.


- Madelon -

C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie.

- Cathos -

Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bien heureuse.

- Madelon -

(à Almanzor.)

Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses ?
Voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil ?

- Mascarille -

Ne vous étonnez pas de voir le vicomte de la sorte ; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez.

- Jodelet -

Ce sont fruits des veilles de la cour, et des fatigues de la guerre.

- Mascarille -

Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillants hommes du siècle ? C'est un brave à trois poils (16).

- Jodelet -

Vous ne m'en devez rien, marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi.

- Mascarille -

Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion.

- Jodelet -

Et dans des lieux où il faisait fort chaud.

- Mascarille -

(Regardant Cathos et Madelon.)

Oui, mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai.

- Jodelet -

Notre connaissance s'est faite à l'armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.

- Mascarille -

Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'étais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux.

- Jodelet -

La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous.

- Mascarille -

C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc.

- Cathos -

Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée.

- Madelon -

Je les aime aussi ; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure.

- Mascarille -

Te souvient-il, vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siège d'Arras ?

- Jodelet -

Que veux-tu dire, avec ta demi-lune ? C'était bien une lune toute entière.

- Mascarille -

Je pense que tu as raison.

- Jodelet -

Il m'en doit bien souvenir, ma foi ! j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce ; vous sentirez quelque coup c'était là.

- Cathos -

(Après avoir touché l'endroit.)

Il est vrai que la cicatrice est grande.

- Mascarille -

Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci ; là, justement au derrière de la tête. Y êtes-vous ?

- Madelon -

Oui, je sens quelque chose.

- Mascarille -

C'est un coup de mousquet que je reçus, la dernière campagne que j'ai faite.

- Jodelet -

(Découvrant sa poitrine.)

Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'attaque de
Gravelines (17).

- Mascarille -

(Mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses.)

Je vais vous montrer une furieuse plaie.

- Madelon -

Il n'est pas nécessaire : nous le croyons sans y regarder.

- Mascarille -

Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est.

- Cathos -

Nous ne doutons point de ce que vous êtes.

- Mascarille -

Vicomte, as-tu là ton carrosse ?

- Jodelet -

Pourquoi ?

- Mascarille -

Nous mènerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau (18).

- Madelon -

Nous ne saurions sortir aujourd'hui.

- Mascarille -

Ayons donc les violons pour danser.

- Jodelet -

Ma foi, c'est bien avisé.

- Madelon -

Pour cela, nous y consentons : mais il faut donc quelque surcroît de compagnie.

- Mascarille -

Holà ! Champagne, Picard, Bourguignon, Cascaret, Basque, la Verdure,
Lorrain, Provençal, la Violette !
Au diable soient tous les laquais !
Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.

- Madelon -

Almanzor, dites aux gens de monsieur le marquis qu'ils aillent quérir des violons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici près, peupler la solitude de notre bal.

(Almanzor sort.)

- Mascarille -

Vicomte, que dis-tu de ces yeux ?

- Jodelet -

Mais toi-même, marquis, que t'en semble ?

- Mascarille -

Moi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies (19) nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges secousses, et mon cœur ne tient plus qu'à un filet.

- Madelon -

Que tout ce qu'il dit est naturel ! Il tourne les choses le plus agréablement du monde.

- Cathos -

Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit.

- Mascarille -

Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus.

(Il médite.)

- Cathos -

Hé ! Je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous.

- Jodelet -

J'aurais envie d'en faire autant ; mais je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés.

- Mascarille -

Que diable est-ce là ? Je fais toujours bien le premier vers, mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé : je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde.

- Jodelet -

Il a de l'esprit comme un démon.

- Madelon -

Et du galant, et du bien tourné.

- Mascarille -

Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la comtesse ?

- Jodelet -

Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.

- Mascarille -

Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à
la campagne courir un cerf avec lui ?

- Madelon -

Voici nos amies qui viennent.


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SCÈNE XIII. - Lucile, Célimène, Cathos, Madelon, Mascarille,
Jodelet, Marotte, Almanzor, violons.


- Madelon -

Mon Dieu, mes chères (20), nous vous demandons pardon. Ces messieurs
ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds, et nous vous
avons envoyé quérir pour remplir les vides de notre assemblée.

- Lucile -

Vous nous avez obligées, sans doute.

- Mascarille -

Ce n'est ici qu'un bal à la hâte ; mais l'un de ces jours, nous vous en
donnerons un dans les formes. Les violons sont-ils venus ?

- Almanzor -

Oui, Monsieur ; ils sont ici.

- Cathos -

Allons donc, mes chères, prenez place.

- Mascarille -

(dansant lui seul comme par prélude.)

La, la, la, la, la, la, la, la.

- Madelon -

Il a tout à fait la taille élégante.

- Cathos -

Et a la mine de danser proprement (21).

- Mascarille -

(ayant pris Madelon.)

Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En
cadence, violons, en cadence ! Oh ! quels ignorants ! Il n'y a pas
moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte ! ne sauriez-vous
jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme ! O violons de
village !

- Jodelet -

(dansant ensuite.)

Holà ! ne pressez pas si fort la cadence : je ne fais que sortir de
maladie.


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SCÈNE XIV. - Du Croisy, La Grange, Cathos, Madelon, Lucile, Célimène,
Jodelet, Mascarille, Marotte, violons.


- La Grange -

(un bâton à la main.)

Ah ! ah ! coquins, que faites-vous ici ? Il y a trois heures que nous
vous cherchons.

- Mascarille -

(se sentant battre.)

Ahi ! ahi ! ahi ! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient
aussi.

- Jodelet -

Ahi ! ahi ! ahi !

- La Grange -

C'est bien à vous, infâme que vous êtes, à vouloir faire l'homme
d'importance !

- Du Croisy -

Voilà qui vous apprendra à vous connaître.


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SCÈNE XV. - Cathos, Madelon, Lucile, Célimène, Jodelet, Mascarille,
Marotte, violons.


- Madelon -

Que veut donc dire ceci ?

- Jodelet -

C'est une gageure.

- Cathos -

Quoi ! vous laisser battre de la sorte !

- Mascarille -

Mon Dieu ! je n'ai pas voulu faire semblant de rien ; car je suis
violent, et je me serais emporté.

- Madelon -

Endurer un affront comme celui-là en notre présence !

- Mascarille -

Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y
a longtemps ; et, entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de
chose.


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SCÈNE XVI. - Du Croisy, La Grange, Madelon, Cathos, Célimène, Lucile,
Mascarille, Jodelet, Marotte, violons.


- La Grange -

Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets.
Entrez, vous autres.

(Trois ou quatre spadassins entrent.)

- Madelon -

Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans
notre maison !

- Du Croisy -

Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus
que nous ; qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous
donnent le bal !

- Madelon -

Vos laquais !

- La Grange -

Oui, nos laquais : et cela n'est ni beau ni honnête de nous les
débaucher comme vous faites.

- Madelon -

O ciel ! quelle insolence !

- La Grange -

Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous
donner dans la vue ; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi,
pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur-le-champ.

- Jodelet -

Adieu notre braverie.

- Mascarille -

Voilà le marquisat et la vicomté à bas.

- Du Croisy -

Ah ! ah ! coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos brisées ! Vous
irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos
belles, je vous en assure.

- La Grange -

C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos
propres habits.

- Mascarille -

O fortune ! quelle est ton inconstance !

- Du Croisy -

Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose.

- La Grange -

Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en
l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant
qu'il vous plaira ; nous vous laissons toute sorte de liberté pour
cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons
aucunement jaloux.


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SCÈNE XVII. - Madelon, Cathos, Jodelet, Mascarille, violons.


- Cathos -

Ah ! quelle confusion !

- Madelon -

Je crève de dépit.

- Un des Violons -

(à Mascarille.)

Qu'est-ce donc que ceci ? Qui nous payera nous autres ?

- Mascarille -

Demandez à monsieur le vicomte.

- Un des Violons -

(à Jodelet.)

Qui est-ce qui nous donnera de l'argent ?

- Jodelet -

Demandez à monsieur le marquis.


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SCÈNE XVIII. - Gorgibus, Madelon, Cathos, Jodelet, Mascarille, violons.


- Gorgibus -

Ah ! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps
blancs, à ce que je vois ; et je viens d'apprendre de belles affaires,
vraiment, de ces messieurs qui sortent.

- Madelon -

Ah ! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite.

- Gorgibus -

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre
impertinence, infâmes ! Ils se sont ressentis du traitement que vous
leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je
boive l'affront.

- Madelon -

Ah ! je jure que nous en serons vengés, ou que je mourrai en la
peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre
insolence ?

- Mascarille -

Traiter comme cela un marquis ! Voilà ce que c'est que du monde : la
moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient.
Allons, camarade, allons chercher fortune autre part ; je vois bien
qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point
la vertu toute nue.


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SCÈNE XIX. - Gorgibus, Madelon, Cathos, violons.


- Un des Violons -

Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez, à leur défaut, pour
ce que nous avons joué ici.

- Gorgibus -

(les battant.)

Oui, oui, je vous vais contenter ; et voici la monnaie dont je vous
veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous
en fasse autant ; nous allons servir de fable et de risée à tout le
monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances.
Allez vous cacher, vilaines, allez vous cacher pour jamais.

(Seul.)

Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées (22),
pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons,
sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables !





FIN DES PRÉCIEUSES RIDICULES.

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(1) Le Duchat donne à ce mot la même signification qu'au mot "pécore".
Ne viendrait-il pas du mot italien "pecca", vice, défaut, ou du mot latin "pecus", dont on a fait pécore ? (B.)
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(2) On voit par la préface de Molière qu'on distinguait deux ordres de "précieuses", et que cette appellation ne fut pas toujours prise en mauvaise part. Le "Grand Dictionnaire historique des Précieuses", imprimé chez Ribou en 1661, osa nommer ce que la France avait de plus grand, de plus poli, de plus aimable. Les Longueville, la Fayette,
Sévigné, Deshoulières, le grand Corneille, Ninon de Lenclos, sont à la tête de cette liste nombreuse, où figurent le roi, la reine et toute la cour. (B.)
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(3) Palaprat, contemporain et ami de Molière, nous apprend que "Gorgibus" était le nom d'un emploi de l'ancienne comédie, comme les Pasquins, les Turlupins, les Jodelets, etc. En effet, on trouve souvent le nom de Gorgibus dans les canevas italiens.
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(4) Cyrus et Mandane, Clélie et Aronce, sont les principaux personnages
d'"Artamène" et de "Clélie", romans alors très à la mode.
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(5) "Pousser le doux, le tendre et le passionné", expressions du temps, dont les auteurs contemporains offrent plusieurs exemples.
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(6) La carte de "Tendre" est une fiction allégorique du roman de "Clélie".
On voit sur cette carte un fleuve d'"Inclination", une mer d'"Inimitié", un lac d'"Indifférence", et une multitude d'autres inventions de ce genre.
Pour parvenir à la ville de "Tendre", il fallait assiéger le village de
"Billets-Galants", forcer le hameau de "Billets-Doux", et s'emparer ensuite du château de "Petits-Soins". (Voy. "Clélie", tome I.)
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(7) Anciennement le "rabat" n'était autre chose que le col de la chemise "rabattu" en dehors sur le vêtement, et c'est de là qu'il a pris son nom.
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(8) "Parler chrétien", c'est parler en langage intelligible. Cette expression est venue des Vénitiens, qui disent que, comme il n'y a de vraie religion que celle des "chrétiens", il n'y a aussi que leur langage qui doive être entendu. (Le Duchat.)
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(9) Ce proverbe, "traiter de Turc à More", qui signifie "traiter avec la dernière rigueur", est sans doute fondé sur ce que les Turcs et les Mores, dans leurs anciennes guerres, ne se faisaient point de quartier. (A.)
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(10) "Caution bourgeoise", signifie "caution solvable", "caution valable".
Molière a employé une seconde fois cette expression dans la "Critique de
L'Ecole des Femmes" : "La caution n'est pas bourgeoise." (A.)
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(11) Personnage du roman de "Clélie", à qui l'auteur a voulu donner un caractère enjoué et plaisant. (B.) -- Dans le langage des précieuses, on disait : "Etre un Amilcar", pour "être enjoué". (Voyez le "Grand
Dictionnaire des Précieuses, ou la Clef de la langue des ruelles",
Paris, 1669, page 21.)
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(12) On donnait le nom de "ruelles" aux assemblées de ce temps-là.
L'alcôve servait de salon, et la société s'y réunissait autour du lit
de la précieuse, qui se couchait pour recevoir ses visites. La "ruelle" était parée avec beaucoup d'élégance et de goût, et les hommes qui en faisaient les honneurs prenaient le nom d'"alcôvistes". (P.)
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(13) La "petite oie" se disait alors des rubans, des plumes et des différentes garnitures qui ornaient l'habit, le chapeau, le nœud de l'épée, les gants, les bas et les souliers. (B.)
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(14) "C'est Perdrigeon tout pur." -- "Perdrigeon" était le marchand en vogue qui fournissait les gens du bel air. Il ne faut pas confondre ce mot avec le nom de la belle couleur violette qui est emprunté d'une prune nommé "perdrigon".
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(15) Les canons étaient un cercle d'étoffe large, et souvent orné de dentelles, qu'on attachait au-dessus du genou, et qui couvrait la moitié de la jambe. Les "importants" se rendaient ridicules par l'ampleur démesurée de leurs canons. Voilà pourquoi ceux de Mascarille "ont un grand quartier" de plus que ceux qu'on fait. (B.)
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(16) Locution proverbiale qui rappelle l'ancien usage où étaient les militaires de terminer chaque côté de la moustache par quelques poils très effilés, et de tailler en pointe le bouquet de barbe qu'on laissait croître au milieu du menton. Cette mode venait d'Espagne. On la retrouve dans quelques portraits du règne de Louis XIII.
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(17) L'"attaque de Gravelines" était un événement récent à l'époque où fut jouée la pièce, c'est à dire en 1659. L'année précédente, le maréchal de la Ferté avait pris cette ville sur les Espagnols.
Le "siège d'Arras", dont Mascarille parle plus haut, remontait à 1654.
Turenne avait fait lever ce siège au prince de Condé qui servait alors dans l'armée espagnole. (A.)
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(18) On disait alors "se promener hors des portes", parce que Paris, encore entouré de remparts et de fossés, avait des portes auxquelles aboutissaient les principales rues qui vont du centre à la circonférence. C'est sur l'emplacement de ces remparts et de ces fossés que Louis XIV fit ensuite planter la promenade que nous nommons "boulevards". -- "Donner un cadeau", signifiait autrefois donner une "fête", un "repas".
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(19) Le mot "braie" a vieilli, et ne se trouve plus dans nos dictionnaires que comme terme d'imprimerie et de marine. Du temps de
Molière, il signifiait le linge de corps. (B.)
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(20) On disait alors une "chère" comme on aurait dit une "précieuse".
Ces deux mots avaient le même sens, et étaient également à la mode ; mais "chère" exprimait surtout l'intimité. Ce mot est resté.
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(21) "Danser proprement", pour "bien danser". Expression recherchée, qui est restée dans notre langue, où même elle est devenue d'un usage vulgaire. C'est ainsi que dans cette multitude de locutions bizarres ou ridicules dont Molière s'est moqué avec tant de gaieté, il en est un assez grand nombre que nous employons tous les jours sans nous douter qu'elles sont un présent des "précieuses". Qui croirait, par exemple, que nous leur devons les phrases suivantes : "Tenir bureau d'esprit" ; "Avoir les cheveux d'un blond hardi" ; "Craindre de s'encanailler" ; "Avoir l'humeur communicative" ; "Etre pénétré des sentiments d'une personne" ; "Avoir la compréhension dure" ; "Revêtir ses pensées d'expressions vigoureuses" ; "Avoir le front chargé d'un sombre nuage" ; "N'avoir que le masque de la générosité" ; etc. ?
Toutes ces expressions, qui n'ont rien d'extraordinaire aujourd'hui, sont citées par Saumaise comme faisant partie du nouveau dictionnaire des "Précieuses" ; et l'on peut en conclure que cette affection de langage, dont Molière a fait justice, n'a cependant pas été tout à fait inutile à la langue.
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(22) "Billevesées", ou plutôt "billevezées", ainsi que l'écrit
Rabelais. Balle remplie de vent, et, par allusion, discours vains, trompeurs. Mot composé de "bille", balle, et de "vezer", souffler, ou de "veze", musette. De là "billevezée", comme l'explique fort bien
Furetière, pour "balle soufflée", pleine de vent. C'est précisément le "Nugae canorae" des Latins.


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Molière - Les précieuses ridicules
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12 comments:

  1. Gorgibus entend bien marier sa fille Magdelon et sa nièce Cathos.
    Mais aucun prétendant ne trouve grâce aux yeux des deux jeunes filles. Soupirants éconduits, La Grange et Du Croissy décident de leur jouer un tour pour leur donner une bonne leçon... En mettant en scène les extravagances des deux précieuses Magdelon et Cathos, Molière compose une savoureuse comédie tout en dénonçant les ridicules excès de la préciosité.

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  2. Magdelon et Cathos, deux jeunes provinciales, débarquent à Paris en quête d'amour et de jeux d'esprit. Gorgibus, père de Magdelon et oncle de Cathos, décide de les marier à deux prétendants, mais elles les ridiculiseront de telle façon que ceux-ci décident de se venger... Cette comédie en un acte et en prose, la première de Molière imprimée en 1660, affichait son ambition d'offrir à ses contemporains un miroir déformant de la préciosité ridicule, du grotesque bourgeois.

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  3. Les Précieuses Ridicules campent deux jeunes femmes qui s’ennuyant à mourir dans leur province, placent dans leur séjour parisien avec leur père (et oncle) malade, tous leurs rêves de mondanité et d’ascenseur social…
    Cette pièce nous amène dans un univers intime et social où chacun tente tant bien que mal de préserver ses acquis, ses certitudes. Aussi, les Précieuses se confrontent-elles à la vision archaïque de leur père et de leurs prétendants, qui ne conçoivent le mariage, l’amour, qu’en terme de bon placement et non pas sous l’angle du choix amoureux.

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  4. Les Précieuses Ridicules furent représentées pour la 1ère fois le 18 Novembre 1659, à la suite de Cinna (pas vraiment le même style, même si c’est la mode de prétendre que Molière n’a jamais existé et que c’est Corneille qui a écrit ses pièces), au petit Bourbon que Molière occupait conjointement avec la troupe italienne de Firelli Scaramouche.
    La pièce connaît le plus grand succès. Portant des « précieux » de marque se trouvaient dans la salle : Melle de Montausier, Melle de Scudéry, Chapelain, Ménage… mais ils eurent le bon goût de ne rien dire. Le parterre riait aux éclats et fit fête à l’auteur pour son audace et sa verve.
    Ménage lui-même aurait raconté :
    « J’étais à la représentation des Précieuses… la pièce fut jouée avec un applaudissement général, et, j’en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dés lors l’effet qu’elle allait produire… Prenant Mr chapelain par la main au sortir de la comédie : « Mr, nous approuvions vous et moi toutes les sottises qui viennent d’être critiquées si finement et avec tant de bon
    sens ; mais croyez moi pour me servir de ce que St Rémy dit à Clovis : il nous faudra brûler ce que nous avons adoré et adoré ce que nous avons brûlé » La pièce fut jouée 43 fois (un record pour l’époque) mais le succès faillit être compromis. La coterie visée s’agita ; les précieuses intéressèrent les galants à prendre leur parti et un « alcôviste » de qualité l’interdit pour quelques jours.
    Molière en fit référence au jeune Louis XIV, il retoucha et améliora, et bientôt l’ordre arriva de laisser jouer les Précieuses.

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  5. Deux provinciales, la tête farcie de romans, débarquent à Paris en quête de princes charmants et de succès mondains. Méprisant deux honnêtes prétendants qui leur parlaient mariage, elles succombent au charme tapageur de deux galants enrubannés qui leur promettent amour et gloire...Mais horreur! Voilà ces beaux messieurs rossés et démasqués par les prétendants...dont ils n'étaient que les valets !

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  6. Ce qui s’expose, dans cette présentation des Précieuses ridicules, plus que le regard porté sur l’œuvre de Molière, c’est avant tout l’effort visible des acteurs pour dire ce morceau du répertoire, et marcher dans la suite des consignes reçues de l’équipe de réalisation.
    Ce qui s’expose, ici, c’est la beauté de cet effort, de cette tension entre la mémoire du texte et sa perte.
    Ce qui s’expose, dans cette épreuve avec le texte vite appris, c’est une hésitation entre faire et défaire le Théâtre des Précieuses ridicules.
    Ce qui s’expose, c’est la peur aussi de jouer le répertoire, sous la pression de l’histoire des mises en scène de la pièce, c’est l’impossibilité de faire le Théâtre du XVIIème siècle, et la fragilité ludique des acteurs se tenant au texte, s’en tenant au texte, tenant le texte parfois.
    Ce qui s’expose, dans cette présentation en chantier, c’est une sorte de travail archéologique maladroit autour de la langue, ce qui s’expose c’est le risque de ne pas savoir jouer Les Précieuses ridicules et de les jouer malgré tout, dans la joie du risque théâtral osé.
    Ce qui s’expose, c’est le tableau des comédiens qui n’en savent pas assez et s’aventurent avec pudeur pour toucher, de la voix et du corps, un rien du tout qui leur fait désirer le théâtre avant toute chose, ce qui s’expose alors dans ce rien, ce n’est pas encore un métier, pas un savoir faire non plus, mais une passion intacte et enfantine pour le théâtre.
    Ce qui s’expose, ici, c’est le texte de Molière, pas encore lu et relu, pas encore analysé et commenté, mais seulement montré pour qu’il tente son effet de théâtre, tout seul, sans aucun intermédiaire.
    Ce qui s’expose dans cette présentation, c’est un rêve de théâtre qui aurait lieu, sans rien, sans personne pour le servir, pour l’accomplir, mais qui se donnerait malgré tout, dans le manque, l’absence même du théâtre réalisé.
    Ce qui s’expose en premier c’est un simple bricolage de plateau, une petite entreprise de déconstruction pour essayer de voir ce qui advient quand presque tout manque, sauf le texte qui refait surface.
    Ce qui s’expose peut-être encore c’est quand même une représentation, mais qui n’a pas vraiment lieu d’être, ou qui n’a pas commencé, qui ne sait rien d’elle-même quand elle débute (qu’elle dure et qu’elle se termine), et qui part de ce fait pour exister, c’est une représentation dont les comédiens ne savent rien, ou pas grand-chose quand ils la jouent, avec joie, inquiétude et densité, ce qui s’expose ici, c’est un rêve.

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  7. DE L'AUTRE COTE DU MIROIR.

    Molière, en humaniste, était sensible à une condition féminine désastreuse maintenue dans l'ignorance des couvents pour mieux se plier dès l'âge de douze ans aux mariages forcés avec des gâteux. Il en parle dans Le mariage forcé , L'Avare , L'Ecole des femmes . Que la préciosité représente un foyer de contestation de ces pratiques scandaleuses, qu'elle affirme que tout individu, homme ou femme, puisse choisir son destin, voilà qui ne pouvait lui déplaire. Mais à l'époque de l'Hôtel de Rambouillet ( 1620-1848 ) succède celle des imitations et des ridicules ( 1653-1656). Les Précieuses ridicules date de 1659. A l'origine, une précieuse est une femme qui, par son veuvage, son rang, entend s'affirmer comme un être « de prix, ayant sa valeur propre d'être humain ». Cela devient quelqu'un qui juge de tout et accorde du prix à ce qu'elle juge. Molière devra s'affronter à cette cabale dans Les Femmes savantes.

    Deux jeunes filles rêvent Carte du Tendre et se retrouvent au pays de Dur.

    S'illusionnant sur la vie et s'imaginant encore, malgré les tractations dont elles sont l'objet de la part de leur père et oncle, concilier amour et mariage, bref, se donnant du prix là où nul ne leur en voit, Cathos et Magdelon, pur produit de leur époque, rêvent d'être le superflu de quelqu'un, elles rêvent de gratuit, de noble, de pur, pour échapper au cauchemar. Mais ces notions sont sans contenu, c'est juste une vitre pour ne pas voir ce qu'il y a derrière : une vie vouée à l'ennui, à l'utilitarisme bourgeois, au Kinder Kirsche Küche.(1) Manquant d'outils pour contester le réel, elles font comme si elles ne l'avaient pas vu.
    Le miroir est un objet-clé, voué au culte narcissique du Même. On n'y supporte que sa propre image, ou ce qu'on rêve en place et lieu de l'autre, l'homme, cet inconnu, ce partenaire de jeu. Le miroir ne peut qu'être un « conseiller des grâces » , il sera celui des disgrâces.
    ../

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  8. /...DE L'AUTRE COTE DU MIROIR...
    Le miroir, c'est aussi la logique d'une farce construite sur le modèle mimétique. Tout le monde imite quelqu'un. Les valets les maîtres, les jeunes filles les héroïnes de romans, les maîtres les mâles de leur lignée. Il y a l'imitation spontanée et l'imitation sur commande – celle des valets, au service de la vengeance. Il y a l'imitation parfaite et l'imitation ratée : les deux donzelles ont oublié l'esprit de la préciosité au profit de la lettre, et leur rôle de composition n'est pas vraiment au point : elles connaissent leur vocabulaire, mais elles le placent de travers dans leurs répliques, elles veulent paraître distinguées, elles ne sont que banales. Les domestiques ont été sommés de jouer un rôle, mais ils s'en débrouillent assez mal : Mascarille ne fait pas longtemps illusion ; quant à son compère, son naturel revient trop vite au galop. Les maîtres sont les metteurs en scène d'un théâtre de la cruauté qu'ils regarderaient depuis les loges, ils n'improvisent guère, ils n'ont rien à faire, qu'à mettre en route une machine implacable, un rituel de corrida avec des coups en lieu de mise à mort. Dans l'arène, tous courent un danger sauf eux : spectateurs et ordonnateurs, ils sont protégés par le principe du théâtre dans le théâtre. La société est de leur côté, le public s'amuse grâce à eux, que peut-il leur arriver ? On peut imaginer qu'ils courent le risque d'une improvisation ratée : imaginons Mascarille aussi mal accueilli que ses maîtres, ou deux filles détestant les hommes et n'aimant qu'être entre elles ….

    L'ennui, le déni du réel, le refus de voir leur condition, la contestation de leur naissance– elles changent de prénom - un fatras de lectures mal assimilées, un sentimentalisme de pacotille, voilà qui les rapproche de celle qui, deux siècles plus tard – l'aliénation féminine se poursuivant toujours – sera Emma Bovary, mais à l'époque, le système à la mode est le romantisme. Comment ne pas s'ennuyer à 15 ans, sortant des mains des bonnes sœurs, maintenues dans le moralisme, l'ignorance et l'illusion du dehors, n'ayant rien vu et rêvant de découvrir le monde – Paris – alors qu'il n'est question partout que d'enfermement ? Les romans à l'eau de rose, ce sont les romans précieux et leurs parcours abstraits sur le modèle du pur amour. Les jeunes filles dévorent cela, s'efforçant de rêver sous peine de périr. Leur situation crée leur folie, elles en deviennent ingrates, à force d'être dépouillées de tout : d'outils intellectuels, de liberté, d'expérience, de personnalité. Elles en deviennent comiques.

    Mais ce comique tient aussi à un invariant : l'adolescence. En changeant de langage, elles contestent le monde adulte. Frivoles, elles le sont à la manière des ados. S'amuser, elles ne rêvent que de s'amuser, voir et être vues, pouvoir continuer à se raconter des histoires de romans-photos. Bourgeoises, elles se verraient aristocrates. De la préciosité, elles ne saisissent pas la substance contestataire, mais seulement le pouvoir d'évasion qui les éloigne du dur, du cru et du nu. Et pourtant, à force de vouloir échapper au vulgaire, à la condition animale et au système de prédation, elles se farcissent la carte de Dur, une vengeance brutale, et deux hommes nus.

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  9. Magdelon et Cathos, deux jeunes provinciales, arrivent à Paris en quête d'amour et de jeux d'esprit. Gorgibus, père de Magdelon et oncle de Cathos, décide de les marier à deux prétendants, La Grange et Du Croisy, mais ces dernières les ridiculiseront de telle façon que ceux-ci voudront se venger de ces « précieuses ». Entre alors en scène un jeune homme, Mascarille, se prétendant homme du monde fréquentant les meilleurs cercles, qui tombera amoureux de Magdelon. Vient ensuite un second homme, Jodelet, dont Cathos s'amourachera. On découvre ensuite que ces deux hommes sont des imposteurs, soit les valets des deux premiers hommes rejetés. Les précieuses sont tombées dans le piège et ont donc montré le ridicule de leur vanité.

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  10. Molière, pour raconter une société où règne l'incertain.
    Ainsi les jeunes provinciales de Molière tentent-elles désespérément d'être à la mode de leur temps pour survivre en un siècle peu tendre envers les femmes. Et si elles font rire, elles émeuvent aussi dans leur volonté d'être autre chose qu'elles-mêmes, de se sublimer. Pas sûr que Molière - qui s'en prendra encore méchamment aux femmes désireuses de s'émanciper dans Les Femmes savantes (1672) - partage ces indulgences. Mais que ce premier grand succès public (1659) lui échappe est signe d'une oeuvre plus complexe qu'il n'y paraît...

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  11. Les précieuses ridicules: Comédie en un acte et en prose écrite par Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière, Les Précieuses Ridicules est jouée pour la première fois le 18 novembre 1659 au théâtre du Petit-Bourdon, avant d'être publiée en 1660 aux éditions Claude Barbin.

    Il s'agit de la première pièce parisienne de Molière après treize années en province. Elle est d'abord jouée en seconde partie de soirée, après le Cinna de Corneille. C'est rapidement un véritable triomphe, puisque dès la seconde représentation les spectateurs affluent pour voir cette pièce.

    Molière s'inspire alors d'une intrigue élaborée par Scarron en 1649, au cours de laquelle un valet déguisé est l'instrument d'une vengeance contre une jeune fille. Mais la force des Précieuses ridicules est de s'adapter à son époque, faisant ainsi de Molière le premier dramaturge à consacrer une pièce à la satire d'une mode contemporaine.

    Cettes pièce Précieuses ridicules de Molière est constituée d'un Acte unique, lui-même divisé en 17 scènes.

    Deux jeunes provinciales, Cathos et Madelon, arrivent à Paris. Gorgibus (père de Madelon et oncle de Cathos) souhaite qu'elles épousent deux prétendants nommés Du Croisy et La Grange.

    Présentation des personnages des Précieuses ridicules :
    1.Magdelon et Cathos
    2.La Grange et Du Croisy
    3.Mascarille et Jodelet
    4.Gorgibus
    5.Marotte

    Axes de lecture des Précieuses ridicules :

    1.Critique des dérives de la préciosité
    2.La mode précieuse dans l'histoire littéraire
    3.La juxtaposition de traditions comiques
    4.Fiction et réalité : la confusion

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  12. " Les Précieuses ridicules ''
    Elles rêvaient de prouesses langagières, d'amants passionnés et fougueux, de festivités parisiennes ; elles voulaient « mener la grande vie » ; elles vont être servies ! Et comment ! Victimes de la vengeance de deux amants rebutés, Magdelon et Cathos, précieuses ridicules, vont être outrageusement abusées par les valets de ces derniers. Dans cette comédie belliqueuse, Molière s'adonne sans modération à la dénonciation d'un langage outrecuidant, et d'une société pédante et réductrice qui va à l'encontre du naturel. Dès lors, il y accuse les excès du mouvement réactionnaire mis en place par Melle de Scudéry avec Clélie en 1650 : la Préciosité.

    Il n'y pas de ridicules que les valets fanfarons et les bourgeois repus dans les comédies de Molière. Femmes savantes et autres précieuses n'ont qu'à bien se tenir !

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